"LE TRANSPORT EST CREATEUR DE VALEUR" PHILIPPE GIVONE - PDG JACKY PERRENOT

On parle de nous 09 juillet 2021

«LE TRANSPORT EST CRÉATEUR DE VALEUR»

Avec une croissance exponentielle de 25 à 30 % par an depuis une dizaine d’années, le groupe Jacky Perrenot a affirmé sa première place dans l’activité grande distribution et oriente sa stratégie vers de nouveaux marchés, toujours dans la perspective d’en devenir leader. Philippe Givone, président du groupe drômois, s’est donné pour objectif d’atteindre un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros en 2022, une valeur symbolique à ses yeux, et affirme son engagement dans la transition énergétique.

L’Officiel des transporteurs : Depuis votre arrivée dans l’entreprise Jacky Perrenot en 2007, le chiffre d’affaires a été multi- plié par onze. Comment le groupe se compose-t-il aujourd’hui ?

PHILIPPE GIVONE: Notre groupe réalise 900 millions d’euros sur douze mois glissants, même un peu plus avec l’intégration de VIR Trans- port au mois de juin. Nous employons près de 9 000 collaborateurs, regroupés sur 120 sites en France et à l’international. Concernant la flotte, elle regroupe 15 % de véhicules « verts » sur un parc moteur de 6 000 cartes grises moteurs pour plus de 10 000 cartes grises au total. Nous sommes leaders en France dans le transport de la grande distribution alimentaire, plutôt sur la « partie aval », c’est-à-dire entrepôt magasin mais aussi sur les produits de grande consommation [PGC], les produits alimentaires. Nous avons développé des activités connexes. Avec 450000 mètres carrés d’entrepôts, nous réalisons de la logistique pour le compte de la grande distribution, des clients de l’alimentaire ou des industriels. Une autre activité se développe fortement dans le groupe, le BtoC en LV2 [livraisons à deux, pour les produits lourds et encombrants]. Elle représentera entre 150 et 200 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2022. Nous sommes aussi présents dans le domaine de l’énergie, avec le transport de tourets en haute, moyenne et basse tension, dans le conteneur, en pré- et post-acheminement, dans les toupies à béton, dans le vrac alimentaire, dans le transport de matières dangereuses, le surgelé et l’avicole avec la reprise des Transports Le Calvez.

 

Comment le groupe s’est-il construit?

P. G. :   Lorsque j’ai rejoint Jacky Perrenot en 2007, l’entreprise réalisait 80 millions d’euros de chiffre d’affaires et regroupait 420 personnes sur une activité essentiellement de distribution. Pour développer rapidement l’activité, je me suis axé sur le métier que nous maîtrisons, la grande distribution, avec des clients comme Casino, client historique du groupe, mais aussi avec d’autres distributeurs (Carrefour, Intermarché, Système U…). J’ai souhaité que nous devenions incontournables. En étant leader français, le seul risque du groupe était de perdre des parts de marché.

C’est pourquoi, après avoir réalisé un développement exponentiel, entre 25 et 30 % de croissance par an en dix ans, nous avons dirigé notre stratégie vers de nouveaux marchés pour en devenir leader. Être leader sur une activité, ou tout au moins être placé dans le top 3, per- met de peser dans les conditions d’achat, d’avoir le coût de production le plus bas et d’équilibrer les relations avec les clients. La croissance du groupe s’est réalisée, dans un premier temps, essentiellement par des sociétés reprises à la barre du tribunal puis, pour accélérer et acquérir des parts de marché et des talents, nous avons repris des sociétés in bonis, ce qui explique notre stratégie de croissance sur d’autres métiers. Par exemple, avant l’intégration de VIR Transport, le groupe réalisait 25 millions d’euros de chiffre d’affaires sur l’activité BtoC. Je devais soit m’en séparer, soit devenir leader français dans ce domaine. J’ai donc choisi la seconde option en reprenant l’entreprise qui correspondait le plus à mes attentes, au savoir-faire et aux valeurs du groupe.

 

Comment l’actionnariat est-il structuré ?

P. G. : En 2019, nous avons fait appel à deux fonds d’investissement – EMZ et Siparex – pour régler l’aspect capitalistique de l’actionnaire majoritaire qu’était Jacky Perrenot. Nous avons ainsi préparé une transition douce en assurant la continuité et la pérennité de l’entreprise tout en respectant nos valeurs. Le capital de l’entreprise avait été ouvert il y a un an au cercle 1 – le comité de direction – et au cercle 2 – les patrons de business units ou les BDR, directeurs de service, business développement représentatives. Une nouvelle opération a eu lieu le 16 juin avec l’intégration du cercle 3, qui regroupe 100 collaborateurs du management intermédiaire. À terme, notre volonté est d’ouvrir le capital jusqu’aux conducteurs afin de matérialiser le sentiment d’appartenance au groupe. Je crois qu’il faut être capable, à un moment, de partager les richesses d’une entreprise. Mais inversement, il faut aussi être capable d’expliquer aux collaborateurs qu’ils doivent faire des efforts lorsque la situation se tend. L’ouverture du capital donne des droits mais aussi des devoirs. C’est un succès car la demande est supérieure à l’offre ; énormément de collaborateurs.

Souhaitent intégrer le capital. Je voulais aussi un acte fort de la part de mes collaborateurs, qui devaient réaliser 50 % de l’investissement. Nous développons par ailleurs la marque employeur « JP ».

 

Quel est votre business p an aujourd’hui ?

P. G.: Atteindre le mil- liard d’euros de chiffre d’affaires, une symbolique, par de la croissance externe en plus de l’organique. Nous projetions d’atteindre ce chiffre d’affaires en 2024-2025, mais cet objectif semble se profiler pour 2022. Notre axe de développement vise à conforter notre place dans le BtoC, à maintenir toutes nos parts de marché sur nos activités existantes, à nous développer à l’international mais aussi dans la logistique premium. Mais cet objectif ne se réalisera pas à tout prix, il faut préserver les valeurs de l’entreprise.

 

En matière de politique environnementale, le groupe Jacky Perrenot se démarque par l’acquisition de véhicules à diverses énergies. Quelles est votre stratégie de transition énergétique ?

P.G Je suis transporteur mais je n’ai pas d’appétence particulière pour le « camion », je préfère donc m’appuyer sur des sachants. En revanche, ce qui m’intéresse c’est la transition énergétique, le fait d’avoir une entreprise novatrice et citoyenne pionnière pour maintenir, voire développer des parts de marché chez nos clients. Il ne faut pas tout attendre des pouvoirs publics, sinon nous n’avancerons pas. Par rapport à sa taille, notre entreprise doit être capable de proposer des solutions innovantes. Nous avons pris ce virage voilà dix ans, avec succès puisque le groupe a aujourd’hui une image d’innovation en matière de transition énergétique. Cette stratégie s’est révélée fédératrice en interne. Nous sommes à l’origine de nombreuses premières mondiales avec, par exemple, les véhicules au biométhane associés à des groupes frigorifiques azote, gaz et/ou électriques oules premières toupies à béton GNC avec un bidon hybride. Nous avons essayé le bioGNV (qui est probablement la meilleure solution), l’élec- trique, le B100 et bientôt l’hydrogène, puisque nous sommes en pourparlers pour acquérir des véhicules avant fin 2021.

 

Comment le choix des solutions s’organise-t-il ?

P. G.: Nous avons abordé la transition énergétique en nous réunissant avec le client, le constructeur et le fournisseur d’énergie autour d’une table. Le but était de partager les risques sur ce sujet mais aussi de trouver des solutions pour une transition énergétique pérenne, avec une pertinence économique et opérationnelle. Dans le cas du gaz, par exemple, nous nous sommes réunis avec Engie, Iveco et Carrefour, le distributeur pour lequel nous avons déployé les premiers camions fonctionnant avec cette énergie. Bien entendu, un service RSE [responsabilité sociétale des entreprises] a été mis en place pour formaliser ce développement, pour structurer toutes ces démarches et pour passer d’un rôle de transition énergétique à un rôle sociétal. Aujourd’hui, nos partenaires nous sollicitent pour que nous trouvions ensemble des solutions alternatives, pour que nous ayons un rôle citoyen, un rôle de précurseur. Pour changer l’image du transport, nous devons démontrer au grand public que notre métier avance, agit et continue de progresser. C’est le sens de l’histoire, nous allons de toute façon être contraints par des mesures coercitives qui seront mises en place par les pouvoirs publics.       

 

Parmi ces mesures contraignantes, il y a l’écotaxe qui émerge…

P. G.: Nous faisons un métier respectable. Or, je trouve que nous ne sommes pas suffisamment respectés, que ce soit par les pouvoirs publics ou certains clients. Une écotaxe par Région, c’est ingérable au quotidien. La transition énergétique, c’est le sens de l’histoire, nous devons être force de propositions. Imposer des systèmes pour nous contraindre à trouver des solutions, nous pouvons l’entendre, mais passer le curseur du rouge au vert sans accompagnement, sans anticipation, sans concertation, cela n’est pas entendable. À l’heure actuelle, le transport n’est plus destructeur de valeur mais créateur de valeur.

 

Vous parlez de solution pérenne pour la transition énergétique. Le gouvernement semble davantage pencher vers l’hydro- gène et l’électricité. Ce choix vous semble-t-il cohérent ?

P. G.: Non. Depuis une dizaine d’années, les pouvoirs politiques ont embrassé la « fée électricité ». Mais je pense que, du berceau à la tombe, elle n’est probablement pas la solution la plus écologique. L’électrique a l’avantage de donner l’impression d’un bond technologique, au contraire des solutions alternatives décarbonées, comme le gaz ou le B100. L’électricité est une énergie satisfaisante pour des missions urbaines ou péri-urbaines car l’autonomie est relativement limitée, autour de 150 kilomètres. Mais elle n’a pas de pertinence économique aujourd’hui, même si le volume pourra à un moment faire baisser les prix. Est-ce réellement la solution adéquate ? Je n’en suis pas certain, même si elle répond à l’équation pollution atmosphérique et pollution sonore.

 

Qu’en est-il de l’hydrogène ?

P. G.: Économiquement, l’hydrogène est difficilement rentable. Sa pertinence dépend aussi de sa production : si l’hydrogène est issu de l’énergie fossile, le bilan carbone est catastrophique. Néanmoins, c’est une énergie très séduisante, que nous allons tester, mais nous n’en sommes qu’aux prémices. Nous aurons un ou deux véhicules pour faire de la R&D et de la communication, mais aussi pour tester en conditions réelles cette alternative énergétique. Je pense que, demain, nous serons sur un mix énergétique et qu’il ne faut surtout pas opposer deux énergies. Mon rôle en tant que leader du transport en France est de regarder, tester pour le marché. Lors du lancement des véhicules au gaz, les points d’avitaillement étaient quasiment inexistants. Nous avons pris la décision dès le départ d’installer des stations publiques pour que tous les transporteurs qui n’ont pas une capacité d’investir ou d’innover, puissent en bénéficier.

 

Vous gardez donc une préférence pour le GNV?

P. G.: Ce qui m’a animé au départ sur les camions roulant au gaz, c’est le GNC biométhane, l’idée de rouler avec les déchets orga- niques récupérés dans les magasins ou ailleurs me séduisait fortement. Nous sommes dans un écosystème vertueux avec un impact très fort. Par ailleurs, les véhicules gaz sont deux fois moins bruyants qu’un moteur atmosphérique, même si ce n’est pas aussi silencieux que l’électrique. Bien entendu, nous avons rencontré quelques écueils, l’autonomie et la puissance des véhicules étaient un peu limités au début, mais ce n’est plus le sujet maintenant. Je ne connais pas la solution la plus adaptée pour demain, mais nous sommes sur des solutions alternatives de transition. Pour moi, le gaz est sans doute actuellement la meilleure solution par rapport aux pertinences économiques et opérationnelles. L’équilibre économique sur une nouvelle énergie se réalisera grâce au volume mais aussi sur le développement du second marché. Ceci ne sera possible que si nous limitons nos choix de technologies.

 

De quels types de véhicules votre flotte « verte » se compose-t-elle?

P. G.: Nous avons plus de 600 véhicules gaz, une commande de 10 véhicules électriques, dont deux viennent d’être livrés, et une com- mande d’une dizaine de véhicules hydrogène est en cours pour une livraison entre 2022 et 2024. Nous avons des groupes auxiliaires, comme 400 semis et/ou des porteurs qui fonctionnent à l’azote, des semis et/ou des porteurs avec des toits photovoltaïques qui fonctionnent au groupe électrique et au groupe gaz. Notre politique RSE est inscrite dans la matrice de matérialité. Notre objectif est de baisser de 25 % l’impact CO2 dans les cinq prochaines années. C’est un objectif réalisable mais, sur ce type de projet, nous devons être ambitieux et, dans l’absolu, je souhaite parvenir à 50 % dans cinq ans. Il est important d’avoir des actes forts. J’ai aussi décidé que d’ici trois ans, les véhicules légers des collaborateurs – non pas les VUL mais leur véhicule et le mien – devront tous être électriques. Nous installerons des bornes électriques sur tous les sites Perrenot. C’est une profession où les fondamentaux sont très importants. Si, au-delà de l’image, les faits et les actes se concrétisent, vos collaborateurs adhèrent à vos projets.

 

Comment décririez-vous la politique des ressources humaines de votre groupe?

P. G.: Au niveau de l’encadrement, notre turnover est très faible. J’ai quasiment la même équipe depuis douze ans. Concernant les conducteurs, le turnover se situe dans la moyenne plutôt basse et, comme dans l’en- semble de la profession, nous sommes à la re- cherche de collaborateurs et de conducteurs. Nos besoins sont d’environ 400 à 500 conducteurs en CDI. Pour les attirer, nous avons mis en place des plans de formation, des accompagnements ou encore des plans de carrière. Sur ce dernier point, notre développement dans le BtoC nous a permis de bénéficier d’un nouveau vivier de conducteurs. Nous pouvons proposer aux collaborateurs qui nous rejoignent avec un permis véhicule léger un vrai parcours de formation, avec une visibilité sur dix à quinze ans. S’ils adhèrent aux valeurs de l’entreprise, s’ils ont un bon savoir-être, on leur finance au bout de trois à cinq ans le permis poids lourd, puis le permis super poids lourd.

 

Quels autres leviers active votre groupe pour attirer de nouveaux talents?

P. G.: Comme beaucoup, nous proposons l’intéressement, la participation, les évolutions professionnelles et l’ouverture du capital. Je souhaite créer une académie, Road Academy, pour laquelle je me suis associé avec une société lyonnaise, D2L, une entreprise d’intérim spécialisée dans la logistique. Le but est de for- mer à la conduite des gens issus de la logis- tique mais aussi d’un parcours professionnel un peu difficile, avec une prise en charge to- tale, comme l’hébergement. À ce jour, nous nous heurtons à des problèmes purement politiques mais nous avons bon espoir d’ouvrir avant la fin de l’année. Nous avons aussi une pépinière d’exploitants déployée avec l’Isteli à Lyon. Elle a formé une vingtaine de personnes en contrat de qualification, et une deuxième session va bientôt ouvrir. La formation des jeunes est très importante, nous intégrons de- puis de nombreuses années des personnes en contrat de qualification dans tous les services support, opérationnels et d’exploitation. Mais je suis toujours à la recherche de talents.

 

Quel impact a eu la crise sanitaire sur le groupe ?

P. G.: Un impact limité, puisque la grande distribution alimentaire a été le seul commerce ouvert pendant les confinements. Le grand public s'est rendu compte que le transport était d'utilité publique. La profession était presque devenue service de l’État, avec un effet loupe sur notre métier. Par ailleurs, j’ai été conforté et ravi du comportement de mes collaborateurs qui ont été exemplaires et citoyens malgré les difficultés de la mise en place des normes sanitaires. Nous les avons accompagnés avec une prime. Pour autant, d’autres activités du groupe se sont aussi arrêtées, comme celles liées au bâtiment, aux travaux publics et à l’industrie. Notre chiffre d’affaires a baissé d’à peine 3 % car nous avons eu un effet d’aubaine juste après le confinement. Ce qui était intéressant, c’est l’effet crash-test de la Covid, qui a démontré la réactivité et l’agilité de notre groupe.

 

Quelles sont les grandes lignes de développement pour le groupe dans les cinq ans à venir ?

P. G. : Nous allons continuer à agir sur la transition énergétique, en faisant des tests notamment. Nous avons un autre axe de développe- ment, la numérisation. Je viens d’intégrer un directeur digital. Je souhaite que nous soyons reconnus comme leaders du digital, comme sur la transition énergétique. Nous allons continuer nos croissances externes, notamment à l’international, au Benelux et en Suisse. Le phénomène de concentration dans notre profession semble repartir à la hausse, de nombreuses opportunités se présentent pour notre groupe. •

 

ROPOS RECUEILLIS PAR GWENAËLLE ILY